Les loups soutiennent l’économie

Feuilleton proposé par le Groupe Loup - Bretagne : Episode 8/12

L’écotourisme d’observation des loups, la mise en valeur du patrimoine historique relatif à l’espèce ou l’ensemble du secteur industriel dédié à la protection des troupeaux sont autant de gisements de projets liés à la présence des loups, tout en étant créateurs d’activité et d’emploi.

L’écotourisme d’observation des loups

L’image emblématique très puissante du loup s’accompagne d’un fort pouvoir de séduction auprès de nombreux publics et suscite un intérêt qui va bien au-delà des seuls cercles naturalistes. On connaît l’engouement pour les parcs et réserves qui présentent des loups en semi-liberté. Mais on a aussi vu se développer récemment une nouvelle forme de tourisme étroitement associé à la présence de loups vivant à l’état sauvage sur certains territoires où leur présence permanente est l’objet de suivis et du développement d’un secteur d’activité dédié. Il en résulte pour les populations locales des bénéfices économiques non délocalisables qui alimentent des revenus et des emplois dans les secteurs des transports, de l’hôtellerie restauration et de l’animation nature.
Des exemples de tourisme lupin existent en Europe centrale, mais aussi en Italie ainsi qu’en France, autour du Parc du Mercantour. Mais c’est en Espagne, où le loup n’a jamais été complètement éradiqué, que ce secteur d’activité s’est particulièrement développé et structuré. Il est essentiellement animé par des agences privées qui mettent à la disposition du public intéressé des personnels pour encadrer des séances d’observation des loups le matin ou le soir à partir de postes fixes ou des visites guidées à la recherche de traces ou d’indices de présence dans des territoires fréquentés par les loups. Des séances nocturnes d’écoute de hurlements sont aussi proposées, des visites de bergeries… Les prestations sont variées, allant de stages de formation pour adultes à des activités s’adressant aux familles.

Le site de la Sierra de la Culebra en Espagne offre de nombreuses activités centrées sur la découverte et l’observation des loups (Photo anonyme Naturaliste)

Plusieurs sites abritant des population permanentes de loups ont réussi à organiser de façon pérenne cette forme d’activité touristique : Montaña de Riaño (León), Montaña Palentina (Castilla-León), Sierra de la Culebra (Zámora) et Sierra de Guadarrama (Madrid). Certains de ces sites étaient des zones rurales en déclin économique sans activité touristique ni secteur tertiaire. L’écotourisme associé à la présence des loups a permis à plusieurs villages de créer une nouvelle offre et d’y fixer des emplois.

C’est ainsi qu’on a pu affirmer que « À la Culebra, on ne considère plus le loup comme un ennemi du développement, mais comme un atout économique important pour l’ensemble de la région » (González Eguren, V., et al., 2015). La Sierra de la Culebra génère ainsi annuellement en moyenne 700 000 euros de revenus exclusivement liés à cette activité (Garcia, A. J., 2020). On estime que chaque personne qui vient participer à ces activités dépense sur place une moyenne 200 euros, entre les stages d’observation et les frais de son séjour. Déjà en 2012, 46 % des séjours en gîte rural sur le site de la Sierra de la Culebra étaient liés au tourisme d’observation des loups.

Le ministère espagnol de l’Environnement a édité en 2017 un « Guide des bonnes pratiques pour l’observation de l’ours, du loup et du lynx en Espagne » afin d’offrir un cadre de préconisations permettant de respecter la faune en assurant le moins de dérangement possible. En effet, il convient d’être vigilant, car un développement anarchique de ces activités peut perturber ou modifier le comportement des loups par des contacts trop rapprochés avec le public (Ordiz, A., 2014).
L’exemple de l’Espagne montre qu’une présence permanente de loups, associée à une protection de l’espèce, peut générer de l’activité et des revenus dans des régions mal dotées en termes d’attractivité touristique ou d’emploi. Cela doit, bien entendu être soumis à la condition de pratiques respectueuses, tant de la faune sauvage que des activités humaines traditionnelles.

Patrimoine architectural consacré aux loups : des vestiges à préserver

L’aspect historique et patrimonial des activités humaines liées à la présence des loups par le passé peut lui aussi être valorisé. Il sera encore plus attractif et évocateur si les loups sont à nouveau présents sur le territoire.

Ces vestiges patrimoniaux sont ceux des constructions d’ouvrages ayant pu servir jadis à la capture des loups, ainsi que du patrimoine des bergeries traditionnelles qui gardent la mémoire d’une cohabitation où les loups étaient omniprésents dans la vie pastorale.

Présentation d’une ancienne fosse à loup après sa reconstitution en forêt d’Aubrac près de la cascade du Devèz en Aveyron (Photo anonyme Decathlon)

En Espagne où il existe encore de multiples restes de ces installations, des recensements ont été effectués pour mettre en valeur ce patrimoine constitué de nombreuses formes de pièges ou fosses à loups, chaque type ayant sa dénomination spécifique, témoignant d’une culture architecturale rurale d’une grande richesse (Murga, F., 1978 ; Torrente, J. P., 2014).

Ce patrimoine existe aussi en France et singulièrement en Bretagne où il est souvent signalé par une toponymie explicite. François de Beaulieu précise qu’il y a « au moins une bonne quarantaine de “ Toul Bleiz”, de “Fosse au loup”, et leurs dérivés en Bretagne, soit environ 10 % des 400 lieux-dits évoquant le loup » (de Beaulieu, F., 2023). Dans une perspective du retour du loup, il est certain que la préservation ou la restauration d’un tel patrimoine présenterait un intérêt historique et culturel indéniable qui trouverait sans aucun doute son public.

Commercialisés sur internet, des kits de « clôture anti-loup » électriques (Photo anonyme Agrarzone)

Protection des troupeaux : un secteur en développement

La petite industrie consacrée aux équipements pour la protection des troupeaux est naturellement une de celles qui peut le mieux profiter de la présence des loups sur un territoire. Les loups sont des animaux particulièrement intelligents et lorsqu’il s’agit de protéger un élevage de leurs incursions, le triptyque classique (présence humaine, chiens de protection de troupeau, équipements de protection ou d’effarouchement) se doit d’être en tout point performant. La moindre défaillance sera détectée et pourra être la cause d’une intrusion réussie.

Ce nouveau secteur d’activité est en train de se structurer pour répondre à la demande des éleveurs en matière de parcs fixes, parcs mobiles, filets électrifiés, batteries autonomes, caméras de surveillance… En matière de recherche et développement, il est très important de pouvoir profiter du retour d’expérience des professionnels de l’élevage qui en sont les premiers utilisateurs. Les conditions de mise en place du matériel, l’entretien, la maintenance, l’efficacité des normes proposées en matière de puissance électrique, de branchement, de hauteur de clôture, d’espacement des fils, etc… nécessite de maîtriser un très grand nombre de paramètres. L’évaluation de l’efficacité des différentes techniques de protection est devenue l’objet d’une abondante littérature (CERPAM, 2012) ; (de Roincé, C., 2016). Seul un échange d’informations permanent auprès des éleveurs évoluant en zone de présence permanente de loups peut assurer une validation des procédés et permettre de les tester en conditions de terrain. Dans ce secteur industriel, un haut niveau d’expertise est nécessaire, compte tenu des modes d’élevage très diversifiés en système pastoral et de la plasticité comportementale des loups. Même s’ils sont aujourd’hui difficiles à chiffrer, il est certain que les enjeux économiques de ce secteur appelé à se développer sont à prendre en considération et que la présence de ces entreprises au plus près du terrain sera un atout dont pourront profiter les territoires concernés par la présence des loups.

 

 

 

Prochaine épisode (9) : Les loups stimulent la recherche

Références bibliographiques :

Beaulieu (de), F., (2023). Le loup en Bretagne hier et aujourd’hui. Skol Vreizh, Morlaix, 184 p.

CERPAM. (2012). Protection des troupeaux contre la prédation. Techniques pastorales. Centre d’études et de réalisations pastorales des Alpes-Maritimes – OIER-SUAMME – ADEM –DDT/M 04-05-06-38-73 – IDELE., 310 p. Coédition Cerpam – Cardère éditeur.

Garcia, A. J., (2020). El ecoturismo del lobo genera 700 000 euros de beneficios anuales. La Opinión de Zamora.27/10/2020.

González Eguren, V., (2015). La ganadería y el lobo en España. Academia de Ciencias Veterinarias de Castilla y León.

Murga, F., (1978). Catálogo de loberas de las provincias de Álava, Burgos y León. Kobie, 31 p.

Ordiz, A., (2014). ¿Altera el turismo de naturaleza el comportamiento de los grandes carnívoros? Quercus, 341: 14-21.

Roincé (de), C., (2016). Évaluation de l’efficacité des moyens de protection des troupeaux domestiques contre la prédation exercée par le loup – période 2009-2014. Étude réalisée par TerrOïko – Financement : Ministère de l’Agriculture de l’Agroalimentaire et de la Forêt et le Ministère de l’Environnement de l’Énergie et de la Mer. 64 p.

Torrente, J. P., Llaneza, L., & Álvares, F., (2014). «Pièges historiques contre les loups et autres animaux sauvages dans la péninsule Ibérique» in Moriceau, J. M., (2014), Vivre avec le loup? Trois mille ans de conflit, Tallandier éd., Paris. 142-162, 552-553 et 582-584 ISBN 979-10-210-0524-2.

Cet article peut être librement reproduit, partiellement ou en totalité et pour des usages non commerciaux, à la condition de n’être ni modifié ni adapté et d’être cité sous la référence de la publication d’origine : Jean, A.,GLB., (2024). Les effets bénéfiques de la présence des loups. Groupe Loup Bretagne, publié 3e trimestre 2024, 27 p. https://loup.bzh/ © 2024 Les auteurs, Alain JEAN, Groupe Loup Bretagne.

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