Les loups aident les agriculteurs… et les chasseurs
Feuilleton proposé par le Groupe Loup - Bretagne : Episode 6/12
Thierry Braem – Tchéquie
D’après une étude menée en Turquie, la présence de loups sur un territoire est capable de contenir la prolificité des sangliers et de limiter les dégâts occasionnés aux cultures. En France, les chasseurs sont tenus d’assurer l’indemnisation des dommages causés par les sangliers. Mais ils ne sont plus en mesure de contrôler leur prolifération et dépensent des dizaines de millions d’euros par an alors que les sangliers n’ont jamais été aussi nombreux. Laisser les loups assurer une régulation des populations de sangliers pourrait leur être très profitable financièrement, tout en soulageant les agriculteurs.
La réduction des dommages aux cultures occasionnés par les ongulés sauvages est aussi une des formes de services « monétisables » rendus par les loups. On sait que les fédérations de chasseurs indemnisent les dégâts causés en France par les sangliers à hauteur de 80 millions d’euros par an (Sénat français 2022), 85 % de cette somme concerne les dommages aux cultures agricoles. Avec une baisse de 30 % du nombre de chasseurs en trente ans et la multiplication par trois du montant des indemnisations au cours de la même période, on peut considérer que la situation est actuellement hors de contrôle.
La multiplication des sangliers a dans un premier temps été activement encouragée par les instances cynégétiques, qui pensaient avoir trouvé, avec la promotion de cette espèce chassable, un moyen de compenser la diminution du petit gibier de plaine. Mais cette prolifération représente aujourd’hui une nuisance majeure en milieu agricole voire périurbain, tout autant qu’une charge financière qui ne fait que croître pour les fédérations de chasse, malgré les nombreuses battues qui sont censées en réguler les effectifs, sans toutefois y parvenir. Le nombre de sangliers présents en France est estimé aujourd’hui à 2 millions d’individus même s’il en est abattu de l’ordre de 800 000 chaque année (Leca I. 23/11/2023). Il a même été montré que les sangliers étaient capables d’accélérer leur cycle de vie en réponse à une forte pression de chasse : alors que les femelles commencent à se reproduire en moyenne à l’âge deux ans lorsque la pression de chasse est faible, on observe une reproduction à partir d’un an au sein des populations fortement chassées (Gamelon, M., et al., 2023).

Une population stable de loups ne pourra vraisemblablement pas, à elle seule, mettre un terme à cette dynamique dont les causes sont multiples, mais elle pourrait en amorcer la régulation en même temps qu’elle contribuerait à diminuer les dégâts à indemniser. En effet, l’absence de prédateur naturel des sangliers durant des décennies n’est sans doute pas étrangère au phénomène de prolifération auquel on assiste aujourd’hui.
La preuve par l’exemple turc
L’effet de la présence de loups sur les dégâts causés par les sangliers à l’agriculture a déjà été documenté par une étude portant sur deux régions agricoles de la province d’Antalya au sud de la Turquie (Evcimeni, E.B., 2013). Chacune de ces deux régions est adossée à un massif montagneux au statut de réserve. La première borde le Parc National de Termessos, la seconde s’étend autour de la zone naturelle protégée de Çığlıkara, . Ces deux réserves abritent des populations de sangliers, mais celle de Çığlıkara est la seule où les loups sont présents.
Les auteurs de l’étude ont comparé dans les deux cas les populations de sangliers ainsi que leur impact sur les zones agricoles environnantes. C’est dans le Parc National de Termessos et ses environs, là où les loups sont absents et où les densités de sangliers sont les plus élevées, que les dégâts causés aux zones agricoles sont, comme on pouvait s’y attendre, les plus nombreux.
Les auteurs concluent : « La densité importante de sangliers dans le Parc National de Termessos et ses environs semble être associée à l’absence des loups. Les villageois se plaignent du nombre des sangliers qui ravagent leurs terres agricoles du fait de l’absence d’une population de loups. Le loup, ce super-prédateur, peut réguler les populations de sangliers comme dans la ZNP de Çığlıkara. Ceci peut être considéré comme un service écosystémique ».
Dans le cas de la France, il est toujours étonnant de constater le nombre élevé des chasseurs qui persistent à croire qu’ils sont les seuls à pouvoir assurer dans la nature la régulation de populations animales prolifiques. Ils constatent pourtant eux-mêmes qu’ils sont totalement dépassés par une prolifération de sangliers qu’ils ont pourtant contribué à créer. Alors au lieu de prétendre une nouvelle fois vouloir « réguler les effectifs de loups » (Leca, I., 18/04/2023), la simple logique voudrait qu’ils cherchent plutôt à s’appuyer sur une population de loups viable et prospère, capable d’effectuer gratuitement ce service qu’ils peinent tant à assurer par eux-mêmes…
Là où l’on a pu procéder à des comparaisons, on constate systématiquement que les coûts pour la société de la gestion des dommages causés par les loups sont toujours très inférieurs à ceux occasionnés par les cervidés ou les sangliers à l’agriculture, et cela quel que soit le pays.
En Slovaquie où cette comparaison a pu être réalisée sur une période de 12 ans (entre 2008 et 2019), les indemnisations sur les troupeaux ont été en moyenne de 43 000 euros par an pour la collectivité. Par comparaison, les dégâts causés à l’agriculture par les cerfs et sangliers ont été de 1,2 millions d’euros annuellement, soit 28 fois supérieurs ! (Rigg, R. & Bučko, J., 2022.).
On peut, une fois encore, confirmer que les loups causent beaucoup moins de pertes au secteur agricole, pris dans sa globalité, que les cervidés ou les sangliers dont ils contribuent par ailleurs à réguler les effectifs.

Prochaine épisode (7) : Les loups sauvent des arbres
Références bibliographiques :
Cet article peut être librement reproduit, partiellement ou en totalité et pour des usages non commerciaux, à la condition de n’être ni modifié ni adapté et d’être cité sous la référence de la publication d’origine : Jean, A.,GLB., (2024). Les effets bénéfiques de la présence des loups. Groupe Loup Bretagne, publié 3e trimestre 2024, 27 p. https://loup.bzh/ © 2024 Les auteurs, Alain JEAN, Groupe Loup Bretagne.
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