Attaques de loups sur humains
Il nous fallait répondre !
« Les loups attaquent-ils l’homme ? » ce titre accrocheur, voire racoleur, est celui d’un article publié par Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, publication du site internet d’Ouest-France, en date du 25 avril 2024. La suite est à la hauteur et accumule, comme nous allons le voir, les approximations, les clichés et les erreurs, à commencer par : « Connus pour être de redoutables animaux sauvages, les loups attaquent leurs proies avant de les dévorer […]. Il est craint pour ses morsures mortelles ». Comme les scientifiques le disent et le redisent, les loups sont plus redoutés que redoutables, et il vaut mieux se garder des chiens, bien plus nombreux et bien moins craintifs, ou des tiques. Et s’ils attaquent leurs proies, c’est bien parce que ces dernières ne leur tombent pas par miracle dans la gueule !
On s’émeut de la férocité du prédateur. Mais la prédation est partout dans la vie sauvage, sans que cela suscite le moindre mouvement émotionnel. Les gracieuses hirondelles et les fauvettes, les frêles libellules, passent leur temps à croquer des proies à leur taille, tout comme les discrètes pipistrelles, la truite… et l’homme, etc…. La prédation est omniprésente.
« Face à la disparition du loup… leur réintroduction à été mise en place... »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
La réintroduction, qui n’est souvent qu’une introduction et n’est pas toujours délibérée, consiste à implanter une espèce, animale ou végétale, dans un milieu dont elle était naturellement absente. Ainsi l’hortensia, si caractéristique des chaumières bretonnes, nous vient d’Asie. Il s’agit bien d’une introduction. De même pour le frelon à pattes jaunes, asiatique également, introduit involontairement.
Le loup est une espèce qui était présente dans l’ensemble de l’Europe. Si son retour a bien été favorisé par un statut légal protecteur dans la plupart des pays, il n’a été ni introduit, ni réintroduit, ni même « remis ». Cette rumeur, tenace et entretenue par nombre d’anti-loups ou de complotistes, se base sur une mauvaise connaissance de l’espèce. Partout où elle a été étudiée (Amérique du Nord et Europe surtout), il apparaît que de nombreux individus, jeunes pour la plupart, quittent leur meute et partent à l’aveuglette pour s’installer ailleurs (à ce sujet, on se réfèrera à notre article Loup en Bretagne : parlons dispersion). Cette dispersion se fait dans toutes les directions et sur des distances très variables dépassant couramment des centaines de kilomètres. Les autoroutes, voies ferrées, villes et fleuves sont traversés ou contournés, et les survivants s’arrêtent pour quelques jours, mois ou années dans une contrée nouvelle. Cette apparition est d’autant plus troublante que le trajet se fait souvent discrètement, un loup solitaire étant particulièrement difficile à observer. Aujourd’hui les caméras automatiques ou les tests ADN permettent de mieux documenter ces déplacements qui ont beaucoup perdu de leur mystère.
« Les loups français et italiens proviennent de la même sous-espèce »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
L’Europe n’a qu’une espèce de loup, mais la chasse permanente qui lui a été faite a isolé quelques noyaux de population (en Italie et en Espagne) qui ont donné des sous-espèces. L’étude de leur ADN montre que les loups français sont essentiellement d’origine italienne, mais, parfois aussi, du nord-est européen (Belgique, Allemagne, Pays-Bas).
« Aujourd’hui environ 1 104 loups vivent en France »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Passons sur le « environ 1 104 » et précisons qu’il n’y a pas de comptage de loups en France. L’opération est impossible pour une espèce aussi discrète, peu abondante et répartie sur un territoire immense et souvent difficile à arpenter. L’Office Français de la Biodiversité, en charge du suivi du loup en France, produit une fourchette calculée à partir d’indices récoltés tout au long de l’année (traces, observations directes et indirectes – ADN –, attaques de troupeaux, restes de proies…). Le nombre avancé ici n’est que la moyenne entre estimations basse et haute.
« Leurs victimes ne cessent d’augmenter... », « 11 000 vies animales en 2019 ».Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Le nombre d’animaux tués par les loups n’est pas réellement connu. Les rapports ne parlent que d’animaux domestiques, les seuls faisant l’objet d’un constat officiel pour indemnisation éventuelle. Lors de ces constats, les agents habilités examinent les victimes et les lieux pour définir la cause de la mort. Certains éléments permettent d’affirmer qu’il s’agit du loup (ADN), d’autres d’en exclure la responsabilité (taille des crocs). En l’absence de certitude, la conclusion est « loup non exclu », et le propriétaire des animaux est indemnisé. À cela s’ajoutent les victimes collatérales, brebis affolées qui se tuent ou se blessent gravement, en chutant par exemple. Ces animaux sont également comptabilisés en tant que victimes. Et ne sont évidemment pas prises en compte les bêtes non signalées par leurs propriétaires parce que non retrouvées, ou non déclarées. Le bilan officiel est donc la somme des animaux domestiques victimes de prédation et pour lesquels l’administration n’a pas pu affirmer que le loup était exclu. Dire que cette liste est celle des victimes du loup est un abus de langage très couramment employé.
Cette liste a cependant l’avantage d’être faite de manière standardisée, avec des biais similaires d’année en année. Elle permet donc un suivi, même si imparfait, des impacts du loup sur les activités d’élevage. Alors que le nombre de loups augmentait chaque année (ce n’est plus le cas en 2024), la liste des animaux domestiques indemnisés restait à peu près stable : près de 12 000 en 2016, à peine plus en 2017, 2018 et 2019.
« La relation du loup avec l’Homme. […] Les attaques de loups sur les Hommes sont le résultat de provocations... »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
On peut s’interroger sur l’emploi de la majuscule à « homme », mais surtout se demander comment l’autrice imagine les moyens de provoquer un loup ? Grande question. Cet animal est extrêmement craintif et méfiant. Les scientifiques qui les endorment dans le cadre de leurs études prennent des précautions ridicules pour se protéger lors du réveil de l’animal. À peine conscient, il fuit rapidement. De même pour les piégeurs nord-américains qui en prennent accidentellement.
« Les attaques de loups sur les Hommes… plus fréquentes de juin à août, correspondant ainsi à la période où les troupeaux vont paître et où les randonneurs sont le plus nombreux en zones forestières ».Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Difficile de savoir d’où sortent ces affirmations, aucune attaque validée n’ayant eu lieu en France depuis les premières observations du loup en 1992. Il est cependant certain que dans le contexte des activités pastorales telles qu’elles se pratiquaient sous l’Ancien Régime (ou les épidémies de rage), le loup a pu attaquer et tuer. Mais, même les chiffres les plus élevés avancés par les historiens montrent une fréquence statistique extrêmement faible, bien inférieure à celle de la mortalité due à l’automobile, par exemple. On ne compte que quatre attaques mortelles en Europe depuis la Seconde guerre mondiale et ce dans des contextes particuliers (cf Le Loup, 2019, Jean-Marc Landry). L’homme n’est pas une proie mais un danger potentiel pour les loups.
Des bergers mentionnent des loups qui grognent à leur approche, à proximité du troupeau. On doit y voir un comportement de défense d’un prédateur assez normal face à un potentiel « voleur de proie ». Ces grognements ne sont pas suivis d’attaques.
« La proximité et l’habitude de l’Homme. |…] « En Amérique du Nord, la cohabitation avec le loup a fait qu’il n’a presque plus peur de l’être humain. »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Voilà une affirmation gratuite que l’autrice de l’article serait bien en peine d’étayer par la moindre référence scientifique. C’est bien, au contraire, la densité humaine forte et la chasse constante qui lui a été faite en Europe qui ont rendu le loup particulièrement craintif sur notre continent. Les populations les plus sauvages, les plus isolées, sont juste curieuses de l’homme.
Par contre il est vrai que des individus ou groupes utilisant régulièrement des sources de nourriture liées à la présence humaine (poubelles) peuvent devenir envahissants et poser des problèmes. Les ours noirs et polaires ont le même type de comportement. À ne pas confondre avec des meutes vivant dans un environnement anthropisé sans pour autant modifier leur comportement.
« les loups hybrides...n’ont absolument aucune crainte envers l’être humain »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Les hybrides sont aussi divers que leur degré d’hybridation, et leurs comportements aussi. Dire qu’ils n’ont absolument aucune crainte de l’homme est bien excessif. Et lorsque l’on sait qu’ils représentent quelques % de la population de loups en France (donnée ONCFS), on peut se féliciter que ces quelques dizaines d’individus aient un comportement de loup « normal », donc craintif !
« La provocation. Les loups attaquent pour préserver leur survie. En général, lorsqu'ils voient l'Homme, ils n'attaquent pas, sauf s'ils sont en situation de détresse ou s'il s'agit d'une femelle qui doit protéger ses petits. C'est aussi le cas d'un loup piégé qui tentera de s'en sortir par tous les moyens, y compris de mordre l'Homme qui pourrait avoir l'idée de lui venir en aide. »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
On passera sur l’expression « préserver leur survie » mais on vérifiera, une fois de plus, qu’avec des si, tout est possible. Évidemment qu’un loup piégé peut mordre, même s’il cherche avant tout à fuir. Encore faut-il avoir idée de mettre la main sur un loup pris dans un piège ! Quant à la louve défendant ses jeunes, elle se contentera de grognements suffisamment explicites pour que vous laissiez les louveteaux tranquilles, les exemples en captivité ou dans la nature sont éloquents. On dot aussi signaler ici que les chercheurs qui étudient les loups sur le terrain n’ont jamais de difficulté à s’approcher d’une tanière, à y prendre et manipuler les louveteaux en bas âge. La mère s’écarte et disparait temporairement pour revenir sur les lieux ultérieurement. C’est d’ailleurs un comportement qui permet, aux USA, un programme de sauvetage d’une population menacée de loup rouge, une espèce très proche du loup gris : des louveteaux nés en captivité sont ajoutés aux portées sauvages dans les tanières.
« Comment éviter les attaques de loups sur l’Homme ? […] Pour que chacun puisse vivre en harmonie, il faudrait respecter le territoire des uns et des autres. Ainsi, les loups n'auraient plus besoin de se rapprocher des Hommes pour survivre. »Nathaly Baldo dans Le Mag des Animaux, 25 avril 2024
Une conclusion particulièrement déconnectée, à réserver aux élèves de maternelle ! Pour les autres, il est clair que loups et éleveurs « ne tapent pas la belote ensemble au coin du feu ». L’un est un prédateur auquel l’autre « offre » des proies particulièrement tentantes. La cohabitation est possible et souhaitable, mais elle ne peut se baser que sur une bonne protection des troupeaux, protection qui entraîne un surcroît de travail et de stress pour le berger. Et un coût, en grande partie assumé par l’État.
Il est tout à fait étonnant que le site du journal le plus lu en France abrite des collaborations d’un aussi piètre niveau.