Loup en Bretagne : parlons dispersion

Comment un loup est-il arrivé dans les monts d’Arrée?

Loup en Roumanie – Emmanuel Berthier

Avec la sortie du troisième film de Jean-Michel Bertrand, Vivre avec les loups, voici venu le temps de maints ciné-débats et autres conférences. Dans ces circonstances, on nous demande parfois, et même assez souvent, comment il se fait qu’un loup soit arrivé dans les monts d’Arrée, si loin de l’arc alpin qui héberge le gros de la population française de loups ou d’Allemagne qui héberge aussi une population.

Thierry Braem - Tchéquie

Pour donner une réponse que nous souhaitons à la fois globale et détaillée, nous nous appuierons ici sur une actualité plutôt spectaculaire déjà relayée par la presse depuis quelques jours et publiée sur le site de l’Office français de la biodiversité (OFB), à voir ci-dessous. Mais auparavant, revenons rapidement sur quelques éléments déjà disponibles sur notre site et qu’il convient de considérer ensemble : le mode d’organisation sociale du loup gris, son mode d’occupation de l’espace, et pour finir sa capacité de déplacement.

Organisation sociale. La base de la socialité des loups est la famille. On l’appelle meute. Elle est constituée d’un couple reproducteur qui, une fois par an, élève une portée (généralement de 4 à 6 louveteaux). Ils sont souvent aidés dans cette tâche parentale par un petit nombre de jeunes des années précédentes. L’effectif de ce groupe familial varie annuellement, gonflant avec les mise-bas, et s’amenuisant peu à peu au fil de l’année du fait de la mortalité des louveteaux et du phénomène des départs dont il sera question ci-après.

Mode d’occupation de l’espace. Globalement opportuniste mais principalement orienté vers la prédation des ongulés sauvages, la meute est aussi un territoire sur lequel le couple parental s’est établi et qui lui offre une ressource alimentaire qui lui convient. Cet espace géographique est considéré comme appartenant exclusivement au groupe et aucun autre loup n’y sera toléré. Un intrus risquerait la mort s’il ne faisait pas preuve d’une très grande prudence, de celles qui lui commandent de quitter les lieux au plus vite faute de quoi il se trouverait vite en grand danger. Cela correspond aussi au comportement de marquage régulier des individus en déplacement sur ce territoire : les bornes olfactives que sont les fèces et les jets d’urine accompagnés ou non de grattages sont déposées régulièrement autour de cet espace dans lequel les loups de la meute se sentent chez eux et servent de messages destinés aux voisins comme aux intrus.

Capacité de déplacement. De par sa morphologie, le loup est taillé pour la course, non pas le sprint, mais l’endurance. Plutôt rapide mais ce n’est pas un guépard, le loup peut s’il est en groupe venir à bout de la résistance de grands ongulés. En dehors des chasses de la meute, ses membres adultes se déplacent aussi individuellement au sein du territoire. Isolé, il n’en conserve pas moins une aptitude remarquable à l’arpenter.

Avec ces trois caractéristiques, le loup marcherait sur trois pattes pourrait-on dire. Mais non, bien entendu, il s’agit bien d’un quadrupède. Un autre élément doit faire partie du tableau, et pas sans raison bien sûr. Voyons de quoi il s’agit.

Le territoire offre une ressource alimentaire qui permet la pérennité d’un groupe familial composé comme il a été indiqué plus tôt. Mais qu’adviendrait-il si l’effectif de ce groupe familial s’étoffait au-delà d’un certain seuil ? Immanquablement, la pression de prédation mettrait en danger la population des proies disponibles sur le territoire de la meute. Alors, bien entendu, la survie des loups de ce groupe familial serait compromise. Et puisqu’il y a toujours des loups c’est qu’ils ont bien dû élaborer une solution pour résoudre ce problème…

Thierry Braem - Tchéquie

La dispersion

Si dans la langue commune le terme évoque un saupoudrage, une sorte de geste du semeur dans lequel une substance se répand plus ou moins uniformément, quand il s’agit du loup, c’est autre chose : il désigne une aventure individuelle. Bien sûr, à large échelle de temps et d’espace, le phénomène a à voir avec l’expansion d’une population, mais s’agissant du loup, il s’agit bel et bien d’un parcours solitaire

On l’a vu ci-dessus, l’effectif d’une meute ne peut pas croître sans poser un problème crucial de surnombre. L’évolution de l’espèce a développé ce comportement : atteignant un an, ou à deux ans révolus, voire un de plus, un jeune lupus se sent des envies de découverte. De plus, atteignant la maturité sexuelle, il devient à un certain moment un rival potentiel ou avéré pour l’adulte reproducteur du groupe, ce qui le rend indésirable. Il s’éloigne donc animé par un moteur interne et/ou poussé au dehors par l’intolérance nouvellement déclarée au sein de la meute. Il apparait que les mâles sont portés à la dispersion plus tôt que les femelles. Mais bien entendu, le phénomène les concerne elles aussi.

Et voilà donc un jeune loup hors du territoire familial et familier, parti à la découverte de nouveaux espaces et exposé à tous les dangers. Vivant d’expédients car ne pouvant chasser seul de grosses proies, il met alors à contribution les charognes rencontrées ici ou là. Comme un renard Il se nourrit aussi en mulotant dans les prairies. Et peu regardant il se contentera parfois des restes abandonnés par les bipèdes.

Un jour, cheminant ainsi dans la précarité alimentaire il se trouvera dans un espace où le relief et/ou la végétation lui procurera/procureront une impression de sécurité et surtout là où, de surcroît, les odeurs de la faune locale lui promettront que ces lieux sauront pourvoir à son besoin de nourriture. Alors il s’y attardera un temps. Et ce temps pourra durer, des semaines, des mois, peut-être des années.

Désormais cantonné, il avancera encore en âge et en maturité. Tôt ou tard l’impératif de la reproduction s’imposera. Il restera dans l’attente d’une éventuelle compagne ou bien partira à sa recherche, reprenant la voie de l’aventure.

Voilà ce déplacement qu’on nomme dispersion. Cette odyssée est une phase de l’existence de chaque loup, une phase de transition entre l’âge du louveteau et celui du loup adulte. On doit noter que cette pérégrination est un voyage à plus ou moins long cours. Dans de nombreux cas, comme on le constate dans les Alpes, il conduira un jeune loup à s’établir dans un espace libre de meute, mais tout proche de territoires occupés par des groupes familiaux. Les interstices entre ces territoires se comblent ainsi au fil du temps. Dans d’autres cas, le voyage se déploie sur des distances importantes voire impressionnantes. Certains loups ont-ils plus que d’autres des fourmis dans les jambes ? Une étude a montré que la présence de certains parasites dans leur organisme pourrait être déterminante dans le comportement de dispersion précoce.

 

Thierry Braem - Tchéquie

Des exemples spectaculaires

Un documentaire allemand de 2016 montrait les reconstitutions de trois exemples de disperseurs qui ont vécu cette aventure à travers l’Europe.

En Italie, le loup qu’on a nommé Ligabue parti de la région de Parme atteignit le département français des Alpes-Maritimes. Un autre, nommé Alan, né dans le nord-est de l’Allemagne voyagea jusqu’en Biélorussie. Et un troisième mâle, Slavko, issu de Slovénie traversa des montagnes d’Autriche et s’orienta vers le nord-est de l’Italie où il fonda la première meute dans le Trentin, ayant rencontré une femelle issue de la population italienne.

Plus récemment, un autre exemple nous a été donné au printemps par un loup parti du centre de la Suisse vers l’Est et qui parvint au cœur de la Hongrie où il fut victime de braconniers. Sa dispersion se serait-elle poursuivie encore longtemps ? Ce qui est certain c’est qu’elle constituait déjà un record de distance avec un parcours de 1927 km.

Et en ce mois de février, l’Office français de la biodiversité publie un article qui relate un nouveau record sur le site dédié au loup. Parti d’Allemagne, plus précisément d’un secteur de Basse-Saxe proche des Pays-Bas, un loup fut repéré en Belgique puis en France, en Franche-Comté. Aux dernières nouvelles, il a été détecté en Catalogne espagnole, dans les Pyrénées. Mais rien n’indique que sa pérégrination ne se poursuivra pas au-delà.

Il reste pour clore cet article à remarquer que ces éléments suffisent amplement à écarter le terme « réintroduction » que certaines personnes ignorantes dans certains cas, malintentionnées dans d’autres emploient encore, que ce soit dans des conversations orales ou dans leurs écrits. Ce phénomène qu’on nomme dispersion suffit amplement à expliquer pourquoi et comment le loup a pu se déplacer jusqu’à parvenir aux monts d’Arrée.