Une nouvelle observation de loup en Bretagne, en Ille et Vilaine
Une bonne occasion de répondre à certaines questions
Le 8 novembre, sur une route d’Ille-et-Vilaine, une automobiliste note la silhouette puissante d’un animal et pense aussitôt qu’il peut s’agir d’un loup. Elle attrape son téléphone et a le temps de quelques clichés. Depuis, les experts de l’OFB les ont analysés et ont conclu. Finalement la Préfecture confirme l’indentification d’un loup une dizaine de jours plus tard. Depuis les questions fusent. Nous y répondons ici.
On se réfère souvent au terme « meute ». Mais qu’est-ce donc ?
On devrait plutôt parler de famille ou de groupe familial. En tout cas, c’est ce qu’on observe en Europe (dans le grand Nord, c’est différent avec des groupes plus importants).
Une « meute », c’est à dire une famille de loups, en France, c’est quoi ? En moyenne 4 à 6 individus dont deux adultes étroitement liés à un territoire. C’est tout. C’est en fait un couple reproducteur, le père et la mère, accompagné de leurs louveteaux de l’année et de leurs rejetons de l’année précédente, qui participent aussi un temps à l’éducation des plus jeunes. Après un ou deux ans, les jeunes loups finissent par quitter le territoire de leurs parents pour chercher un partenaire et un nouveau territoire. Comme il y a toujours une assez forte mortalité juvénile, un groupe familial conservera, compte tenu des ressources disponibles, plus ou moins ce même effectif moyen finalement assez réduit.
Les loups en famille, c’est, généralement, le couple de parents et quatre enfants avec éventuellement un ou deux jeunes des années précédentes.
Un ou plusieurs loups en Bretagne ?
Dans les Monts d’Arrée, le loup détecté en mai 2022 était un jeune mâle, venu probablement d’assez loin. Il a été assez discret pour traverser toute la Bretagne sans se faire remarquer. Mais il a fini par laisser des indices indiscutables de sa présence (images et quelques prédations à l’automne). Y a-t-il déjà plusieurs loups en Bretagne ? On dit qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Pour le loup, c’est pareil ! On peut toujours avancer toutes les hypothèses et les chiffres que l’on veut, seuls des indices validés scientifiquement (traces génétiques) feront foi. Depuis que la présence d’un loup a été rendue publique, beaucoup disent avoir « vu un loup » ou que leurs moutons ont été « tués par un loup ». Mais les confusions avec certains chiens sont très fréquentes. La rigueur veut que tout témoignage puisse être confirmé à partir de méthodes scientifiques validées, ce qui demande du temps et exclut toute précipitation. La détection récente d’un loup en Ille-et-Vilaine pose la question : est-ce celui du Finistère qui aurait rebroussé chemin ou un autre individu ? Question sans réponse à cette heure (au 21 novembre).
Certains chiens adorent se faire passer pour des loups. Les loups n’aiment pas être pris pour des chiens et demandent d’être identifiés par de vrais experts.
Un loup, qu’est-ce que ça mange ?
Il y a beaucoup d’idées reçues. En réalité, on sait assez bien ce que mangent les loups : ils mangent à peu près tout ce qui peut leur apporter des calories et des protéines, depuis de menus escargots jusqu’aux cervidés, en passant par les grenouilles, les mulots, les lapins, sans oublier les cadavres d’animaux de toute nature qu’il consomme volontiers et en toute discrétion. Et parfois même un fruit bien mûr ou un poisson pour agrémenter… Remarquons que les routes sont pourvoyeuses d’un grand nombre de cadavres qui constituent une manne pour un jeune loup en dispersion.
Pour faire son choix, le loup, qui est extrêmement intelligent, va toujours évaluer le rapport bénéfice-risque qui s’offre à lui. Le risque maximum, c’est la présence de l’homme, le principal danger. Mais les défenses d’un vieux sanglier sont pour lui aussi à ranger dans la catégorie des risques sérieux. Donc il va parfois se contenter de petits bénéfices pour de petits risques (par exemple un petit rongeur). Mais le meilleur rapport (et donc ce qui constituera son régime principal) ce sont les mammifères sauvages de toutes tailles : lapin, chevreuil, sanglier, cerf… Et pour minimiser le risque ou la difficulté, son choix le portera de préférence vers les malades, les plus jeunes, les plus faibles, capturés et consommés dans des territoires de chasse sûrs et discrets. Les plus grands ongulés sauvages sont plus à la portée d’une chasse en groupe.
Mais la perspective d’un gros bénéfice (plusieurs brebis rassemblées au même endroit) peut aussi l’entraîner à prendre de gros risques (s’approcher d’un lieu saturé d’odeurs de présence humaine). Ce ne sera jamais son choix premier, mais cela restera toujours une option pour lui. Tout dépendra de l’évaluation qu’il fera de la difficulté de l’entreprise et de la nature et du nombre des problèmes à résoudre. Dans le doute, il s’abstiendra. Il faudra s’en souvenir lorsqu’il s’agira de protéger les troupeaux.
Le loup est un investisseur prudent : il ne mise que si les risques sont très faibles.
Le loup est-il un concurrent pour les chasseurs ?
On connaît la gamme très large des proies chassées par un loup, qui peuvent aller de l’écrevisse au chevreuil en passant par les petits sangliers de tous âges. Compte tenu de la grande préférence du loup pour les animaux malades, jeunes ou affaiblis, les chasseurs n’ont pas grand-chose à redouter en termes de concurrence. Bien au contraire, il peut assurer une meilleure santé du gibier. L’intérêt du loup pour le sanglier en ferait même un auxiliaire apprécié, si l’on considère les sommes importantes que les fédérations de chasse consacrent à l’indemnisation des agriculteurs pour les dégâts des sangliers. Le loup est un régulateur de premier ordre, de ce point de vue.
En réalité, dans un secteur où les loups sont présents, l’impact sur le gibier est surtout marqué sur le comportement des proies. On observe que les cervidés sont plus mobiles et plus dispersés. Ils deviennent plus méfiants et restent moins longtemps à se nourrir à la même place. De ce fait, on a remarqué qu’ils occasionnaient beaucoup moins de dégâts sur les jeunes arbres, à la grande satisfaction des forestiers. Les chasseurs n’ont rien à redouter du loup en tant que prédateur. Ils auraient peut-être même beaucoup à apprendre de lui.
Il y a, semble-t-il, trop de sangliers, le loup va aider les chasseurs à s’en occuper.
Le retour du loup là où il avait disparu, une aberration ?
Dans une époque, la nôtre, qui connaît une phase d’extinction majeure et accélérée de milliers d’espèces animales, la nouvelle du retour d’une espèce emblématique et patrimoniale comme le loup est une bonne nouvelle.
Une espèce prestigieuse, qui reprend spontanément la place éminente qui était la sienne dans la chaîne alimentaire, après une absence depuis plus de 100 ans, c’est une bonne nouvelle. Il ne faut pas oublier qu’au moins 300 loups vivaient en Bretagne il y a deux siècles. Certes les paysages étaient différents mais il y avait beaucoup plus de monde un peu partout dans les landes, les champs et les bois. Pourtant les hommes avaient appris à vivre avec des loups dans leur environnement proche et avec des moyens d’effarouchement et de protection des troupeaux autrement plus modestes que les nôtres.
« Ar bleiz le retour » ! Une espèce qui a laissé son nom dans des centaines de lieux-dits en Bretagne et redonne du sens à la toponymie de nos campagnes, c’est une bonne nouvelle.
Le loup qui habite profondément l’imaginaire de toutes les générations, lui qui a sa place symbolique dans des centaines d’histoires ou de légendes, son retour « pour de vrai » est très une bonne nouvelle.
Et qu’il existe aujourd’hui toute une gamme de techniques bien rodées pour le dissuader d’aller s’intéresser d’un peu trop près aux troupeaux, c’est aussi une bonne nouvelle.
Dans des milliers d’endroits dans le monde, des éleveurs ont appris à vivre à côté des loups, sans leur faire de cadeaux, mais en respectant une forme de pacte, et cela dans un milieu naturel où sa présence témoigne de la résilience d’un monde sauvage qui cède partout du terrain. C’est aussi une bonne nouvelle.
Le retour du loup était annoncé : il suffisait de suivre l’évolution de sa répartition en France pour être certain que cela se produirait tôt ou tard.
Un danger pour l’homme ?
Le risque est à peu près nul… de rencontrer un loup ! Pourquoi ? Parce que les loups ont appris à éviter les hommes, qui les ont persécutés pendant si longtemps. La plupart du temps, lorsqu’on cherche à voir un loup, on rentre bredouille. Parce que les loups ont une ouïe très fine et un odorat très développé, ils nous détectent en général bien avant que nous puissions les apercevoir, ce qui leur laisse tout le temps de disparaître, comme par magie. Et si une rencontre fortuite a lieu, le loup finit toujours par s’éclipser le premier. Si on devait résumer, on dirait que le loup est aujourd’hui tellement méfiant et craintif face aux humains que ça ne vaut plus la peine d’avoir peur. Le grand méchant loup n’existe que dans les livres d’histoire(s), les fables et les comptines pour enfants.
Si on voulait parler des vrais dangers, on parlerait malheureusement plutôt des chiens. En France, chaque année, ce sont plus de 10 000 personnes qui sont mordues par des chiens, ce qui entraîne en moyenne un ou deux décès. Ce sont ces accidents dramatiques qui font la une des journaux.
Sur le sujet, on peut se référer à une étude norvégienne (en anglais) qui synthétise les données concernant la période de 2002 à 2020. Et l’on pourra toujours se promener dans les bois, même pendant que le loup y est.
Moins médiatisé mais tout aussi préoccupant, plusieurs dizaines de milliers de brebis sont tuées chaque année en France à la suite d’attaques par des chiens. Pour ce qui est des brebis, il faut reconnaître que le loup n’est pas un ange, mais il ne faut pas non plus l’accuser des méfaits des autres.
Le loup qui nous revient en cette période est un loup réel, un loup naturel, alors que le loup qui nous trotte dans la tête est encore bien souvent un loup « culturel », le loup des contes et légendes.