Quand Guy de Maupassant parlait des loups bretons

Vache défendant son veau contre un loup – Isidore Bonheur, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Dans son livre Au soleil paru en 1888, Guy de Maupassant évoque des souvenirs et des impressions dans un chapitre intitulé « En Bretagne ». Il y est question du loup : « Et la route sort de nouveau de cette petite cité du moyen âge oubliée là [il s’agit de Pont-L’Abbé]. Elle s’avance à travers la lande piquée d’ajoncs. De temps en temps, trois ou quatre vaches paissent le long du chemin, toujours accompagnées d’un mouton. Pendant plusieurs jours, on se demande pourquoi on ne voit jamais de vaches sans un mouton. Cette question vous tracasse, vous harcèle, devient une obsession. On cherche alors un homme près de qui s’informer. On le trouve non sans peine, car souvent pendant une semaine entière, en rôdant par les villages, on ne rencontre personne qui sache un mot de français. Enfin quelque curé, qui lit son bréviaire en marchant à pas mesurés, vous apprend avec politesse que ce mouton constitue la part du loup.

Un mouton vaut moins qu’une vache, et, comme sa prise n’offre aucun danger, le loup toujours le préfère. Mais il arrive souvent que les vaillantes petites vaches forment un bataillon carré pour défendre leur innocent camarade, et reçoivent au bout de leurs cornes affilées la bête hurlante en quête de chair vive. »

Au soleil par Guy de Maupassant (1884)

On peut ajouter que cette « part du loup » n’est pas attestée par d’autres récits en Bretagne et que Maupassant a peut-être été la victime d’un curé blagueur, heureux d’abuser de la naïveté d’un touriste normand en usant d’une vieille formule proverbiale. Si la « part du loup », voire celle du renard, est présente dans des traditions populaires (dans l’Yonne, le pays messin), c’est toujours associée à un rituel : on lance (parfois lors des cérémonies de carnaval) une préparation alimentaire (palette de porc, omelette…) offerte à l’animal. Les récits d’origine collectés dans toute l’Europe font état de la rupture d’un pacte avec le loup justifiant ses attaques sur la « part des hommes ». Dès lors, le don d’un aliment particulier est bien destiné à établir un nouveau pacte qui sera, lui, rompu par le loup et justifiera sa destruction. On n’oubliera pas que, même si le Diable a participé à la création (pour les Bretons, c’est lui qui fait le loup pour imiter Dieu qui fait le chien), celle-ci est bien telle que Dieu l’a finalement voulue ; il n’est donc pas possible de remettre en cause la présence d’une créature, tout au plus punir celle qui abuserait de ses droits « naturels » : un mouton ça va, trois moutons, tu mourras !

Ma grand-mère, Marie-Yvonne Philippe, née en 1860, m'a dit que les vaches entouraient les moutons et faisaient front quand elles entendaient les loups hurler.
Monique L’Hostis

La façon dont les vaches se défendent est bien corroborée par des témoignages tels que celui rapporté par la vétérinaire Monique L’Hostis : « Ma grand-mère, Marie-Yvonne Philippe, née en 1860, m’a dit que les vaches entouraient les moutons et faisaient front quand elles entendaient les loups hurler ». Le bretonnant Charles Le Gall a noté de son côté que les vaches cherchaient refuge dans les buissons d’épines auxquels elles s’adossaient pour présenter leurs cornes, ce qui expliquait peut-être qu’on y accroche le délivre après la naissance du veau comme pour obtenir une protection préventive alors qu’enterrer le même délivre, ne pouvait que hâter la mort de la vache.

On l’aura compris : tout se tenait dans les croyances et savoirs populaires, reflets atténués de vieilles cosmogonies où les scientistes ne savent voir que des superstitions.

Au soleil par Guy de Maupassant (1884)

Vache défendant son veau contre un loup - Isidore Bonheur, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Vache défendant son veau contre un loup

Ce bronze d’Isidore Bonheur date probablement de 1858 et il est conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Il ne s’agit pas d’une vache Bretonne pie noir mais on peut facilement imaginer que la totalité des races locales qui vivaient alors dans les campagnes françaises avaient la même capacité à faire face aux loups.