Plus de loups et moins d’attaques : mais comment font les Suisses ?

En Suisse, malgré une augmentation du nombre de meutes au cours de l'hiver, le nombre d'attaques sur les troupeaux a fortement baissé.

Parc naturel Beverin en Suisse (Grisons) – Markus Giger

En Suisse, au premier semestre 2023, malgré une augmentation du nombre de meutes au cours de l’hiver, passées en un an de 16 à 26, le nombre d’attaques sur les troupeaux a fortement baissé. C’est notamment vrai dans les cantons les plus concernés par la présence du loup (Valais et Grisons). Par rapport à 2022 où l’on avait constaté une hausse des attaques, celles-ci ont diminué de 55 % dans le Valais, et même de 80 % dans les Grisons !

Loup dans la neige - Gray Wolf

Une exception suisse ?

Beaucoup en France persistent à penser qu’on ne pourra voir le nombre d’attaques diminuer qu’en éliminant chaque année une certaine proportion de loups. Cette approche simpliste qui a les apparences du bon sens n’a jamais donné les résultats espérés. Elle a surtout conduit à des surenchères concernant l’effectif officiellement estimé des loups présents dans le pays (toujours sous-estimé pour certains) et le quota de loups à éliminer qui en découlerait automatiquement (jamais assez élevé pour les mêmes).

Il faut rappeler ici qu’il a été démontré dans plusieurs études européennes qu’éliminer certains loups avait souvent pour conséquence paradoxale d’augmenter la prédation. En effet, à la suite d’un tir létal, les meutes sont souvent déstructurées, la chasse collective des grands ongulés sauvages devient plus difficile et les loups survivants auront tendance à se rabattre sur les troupeaux. Ce phénomène a été constaté de nombreuses fois sur le terrain.

Évolution de la population de loups en Suisse - KORA

Les raisons du succès helvétique

Alors quelle est la recette du succès des Suisses ? L’explication vient du fait que le renforcement de la protection des troupeaux et la mise en place de mesures d’accompagnement mieux ciblées commencent à porter leurs fruits. De nombreux alpages avaient engagé pour la première fois cette année des mesures de protection à l’efficacité validée par l’expérience. Dans le Valais, jusqu’à l’année dernière, beaucoup d’attaques avaient lieu sur des zones que les autorités qualifiaient officiellement de « protégées » mais où les conditions de sécurité effectives pour le bétail étaient en réalité très insuffisantes (troupeaux trop dispersés malgré la présence de chiens, pacages nocturnes trop vastes et mal protégés…).

Une meilleure formation des éleveurs aux bonnes pratiques, l’amélioration du financement des équipements de protection par la Confédération helvétique, la généralisation des clôtures anti-prédation sur les pâturages de printemps et d’automne, même à proximité des zones habitées… toutes ces mesures ont grandement contribué à l’amélioration constatée. Elles sont venues compléter l’utilisation des chiens de protection, la pratique des parcs de nuit sécurisés (notamment par la méthode moderne des clôtures mobiles en filets électriques) et le rôle essentiel de la présence humaine, qui restent les bases traditionnelles de la protection. Toutes ces mesures ont fait leur preuves partout où elles ont été mises en place et la Suisse les a promues dès le retour des loups sur son territoire.

Louveteaux de la meute de Beverin, Grisons 2019 - Hans Garmann

Le Canton de Vaud vient d’ailleurs de prendre en mai 2023 de nouvelles mesures pour renforcer les effets du Plan Loup confédéral. Elles répondent au triptyque : indemnisation, suivi et police.
Un montant forfaitaire équivalant à 600 euros versé par le Canton sera accordé à l’éleveur en cas d’attaque pour compenser les « frais de traitement de sinistre ». A cette somme, s’ajoute l’indemnité de dédommagement calculée sur la valeur réelle du bétail, expertisé par un expert indépendant.
Le soutien apporté par des bénévoles associatifs et l’affectation de  « civilistes » (objecteurs choisissant le service civil) pour soutenir le travail de surveillance des éleveurs seront facilités et étendus à tous types d’exploitation touchées.

Le volet monitoring prévoit l’installation de pièges photographiques dans les zones de nouvelles installations de couples ainsi que des enregistreurs de son, gérés par des associations de protection de la nature agréées par le Canton. La pose de collier GPS sur un ou plusieurs loups est aussi prévue au niveau cantonal. Le suivi génétique systématique des loups est depuis l’origine assuré grâce aux analyses du Laboratoire de Biologie de la Conservation de l’Université de Lausanne.
Des postes supplémentaires du corps de police Faune-Nature sont prévus, tant pour le suivi que pour assurer les actions qui seraient rendues nécessaires. En effet, le plan cantonal vise à professionnaliser l’effarouchement des loups avec des armes non létales. Des essais sont en cours pour tester différentes méthodes (balles en caoutchouc, balles plastiques, lanceurs de fusées explosives…). Le tir létal n’est prévu qu’en cas de menaces pour l’être humain.

Face à un loup - Dennis Jacobsen

La question des tirs létaux

En Suisse cependant les tirs létaux sont légalement possibles, il est même prévu d’en faciliter la pratique. Le Conseil des Etats (le « Sénat » suisse) s’est même prononcé pour une « régulation massive » du loup (comme c’est le cas en Europe de certains exécutifs ou parlements de pays concernés par le retour de l’espèce, où les mesures les plus drastiques ont malheureusement trop souvent la faveur des élus).

Si Pro Natura, Birdlife Suisse, le Groupe Loup Suisse et le WWF Suisse ne sont pas opposées par principe à l’emploi de ces tirs létaux, dans la mesure où ils sont « liés à un risque de dommages importants ou à une menace concrète qu’il s’agit de prévenir », elles déplorent l’existence de plans de tir annuels destinés à éliminer un quota de loups de façon indiscriminée. Les tirs d’élimination sous forme de quotas annuels ne sont pas une fatalité, d’autant qu’ils ne satisfont jamais personne.

Les succès actuels, obtenus grâce aux efforts des éleveurs et à l’accompagnement des collectivités et des associations montrent que l’on peut protéger à la fois les troupeaux et les loups.

Chiffres et polémiques

Il reste à souhaiter que le fameux consensus helvétique trouve le chemin vertueux entre la protection des espèces et celle de l’élevage. L’exemple des bons résultat obtenus en 2023 devraient y inciter. A noter qu’en Suisse, on comptabilise les effectifs en nombre de meutes ou de couples, ce qui est une notion incontestable tout au long de l’année. En effet, les 26 meutes (18 sur le territoire et 8 transfrontalières) ainsi que les 11 couples comptabilisés en 2023 peuvent aussi bien représenter 160 individus en mars et 260 en juillet, après les naissances des louveteaux.

Un maximum qui est bientôt suivi d’un retour progressif à un effectif sensiblement du même ordre à la fin de l’hiver suivant, du fait essentiellement de la forte mortalité juvénile et des disparitions d’adultes ou d’individus en dispersion survenues entre- temps. Compte tenu de ces fluctuations importantes, on voit bien qu’annoncer un chiffre unique pour l’année n’a guère de sens, si ce n’est celui de donner prise aux polémiques.

Le chemin pris par la France pour accompagner le retour des loups est sensiblement différent de celui suivi par nos voisin suisses. Pour quels résultats ?

Présence des meutes de loups en Suisse au 31 mars 2023 - KORA
Le chemin pris par la France pour accompagner le retour des loups est sensiblement différent de celui suivi par nos voisin suisses. Pour quels résultats ?