Loups d’Europe occidentale : italicus, lupus et signatus… la France à la croisée des chemins ?

Loup en Europe en 2016 – Large Carnivore Initiative for Europe

Présence de l’espèce en Europe en 2016 – Source : Large Carnivore Initiative for Europe

Plus personne ne l’ignore, le loup revenu en France depuis le début des années 1990 est issu de la population italienne. On parle de la sous-espèce Canis lupus italicus. Il s’agit bien entendu du loup gris (Canis lupus) et précisément de la sous-espèce qui constitue la population qu’on désigne maintenant comme population italo-alpine. Elle est dorénavant présente depuis le sud de la péninsule italienne jusqu’aux Pays-Bas et à l’Allemagne. Elle est donc aussi présente en Suisse et en Belgique. C’est également cette population qui se développe vers l’ouest en France et jusqu’en Espagne où elle a atteint la Catalogne à la charnière du siècle. Plus récemment elle est aussi notée dans les provinces aragonaises.

En provenance du sud-est

En Italie comme dans toute l’Europe moyenne et septentrionale, le XXème siècle avait vu la population de loups décliner.

Évolution de l’aire de distribution du loup en Italie e, 1900 et 1973. Source : https://www.esvaso.it/dati/digital/allegato_201401225534_lupo-evoluzione.pdf

Comme ailleurs, des causes directes de ce déclin ont été identifiées : chasse, usage de poisons, mortalité routière. Aux alentours de 1972, il ne subsistait qu’une population d’une centaine de loups répartie en plusieurs noyaux.

Mais à partir de 1971, une série de textes législatifs mettant en place la protection de l’espèce, on constate un retour du loup du sud au nord du pays. D’autres facteurs favorables ont pu être évoqués : exode rural et diminution du nombre des chasseurs, retour des populations d’ongulés sauvages. Et au début des années 2000, on estime que la population italienne compte de 500 à 600 loups.

Aire de présence du loup en Italie en 2002. Source : EVOLUZIONE DEMOGRAFICA DEL LUPO (CANIS LUPUS) IN ITALIA : CAUSE STORICHE DEL DECLINO E DELLA RIPRESA, NUOVE PROBLEMATICHE INDOTTE E POSSIBILI SOLUZIONI – Bocedi R.*, Bracchi P.G.°

Ainsi, des loups de cette population ayant passé les frontières au début des années 1990, ont donc donné naissance à une population qui retrouve ses anciens territoires. Ajoutons que la population des Balkans a déjà effectué sa jonction avec ces loups d’Italie au nord-est du pays, dans le Trentin.

En Suisse, à l’automne 2021, on dénombre 15 groupes dont 12 meutes reproductrices, 5 couples et 15 individus solitaires cantonnés.

Distribution du loup en Suisse en avril 2022. Source : Groupe Loup Suisse

Loup au piège-photo à Jard-sur-mer (85) - FDC85

Au sud-ouest, ça bouge aussi

Tout comme en Italie, dans la péninsule ibérique une population de loups s’est maintenue continuellement présente au fil des décennies. Longtemps restée la plus étoffée d’Europe occidentale, elle est constituée de loups de la sous-espèce Canis lupus signatus, le loup ibérique. C’est bien encore le loup gris. La distribution géographique de la population espagnole, qui était présente dans toute la péninsule a subi au cours des XIXème et XXème siècles une régression importante qui aboutit à un fort noyau localisé dans le nord-ouest du pays et en continuité avec l’aire occupée au Portugal. Un noyau resté vivace dans la Sierra Morena, au sud du pays, a peu à peu périclité jusqu’à devenir récemment une population fantôme.

 

Évolution de la distribution du loup en Espagne. Source : ASCEL

À partir des années 1970, une loi interdisant toute utilisation du poison a permis une récupération lente et timide de territoires par les loups. L’espèce restait chassable et chassée au nord du Duero.

Distribution géographique des meutes identifiées lors du recensement de 2012/2014. Source : projet ministériel de l’automne 2021 (ESTRATEGIA PARA LA CONVIVENCIA DE LAS ACTIVIDADES DEL MEDIO RURAL CON EL LOBO (Canis lupus) Y SU CONSERVACIÓN)

Le recensement opéré entre 2012 et 2014 avait dénombré 297 meutes. En 2021, le loup a été inclus dans la liste des espèces protégées, de telle sorte que toute chasse se trouve depuis interdite sur la totalité du territoire espagnol.

Depuis, on a relevé des indices de présence d’individus (2 femelles) de cette population en Aragon où sont également présents des individus de la souche italo-alpine (2 mâles). La jonction entre les deux populations pourrait donc être effective dans un bref délai.

Du mouvement au nord-est

Au nord-est, le loup avait disparu des pays voisins, tout comme ce fut le cas en France. Cependant, des loups se trouvaient plus à l’est, en Pologne orientale. Ces loups représentent une autre sous-espèce du loup gris nommée Canis lupus lupus. Strictement protégés dans tout le pays depuis 1998, ils ont pu étendre leur aire de présence vers l’ouest, jusqu’à atteindre l’Allemagne à la charnière des XXème et XXIème siècles. À la fin 2021, ce dernier pays comptait 158 meutes reproductrices, 27 couples et 19 individus isolés cantonnés. Principalement localisés dans le nord du pays dans un premier temps, cette population s’étend peu à peu vers le sud et vers l’ouest. Elle a déjà émis des disperseurs qui ont essaimé vers les Pays-Bas, la Belgique où des reproductions sont enregistrées depuis quelques petites années, et le Luxembourg qui a connu quelques  passages.

Les territoires de loups en Allemagne, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg pour les années de suivi 2020/2021. Source : La biodiversité en Wallonie.

Dans l’Hexagone

En France, les loups présents sont comme on l’a vu des représentants de la souche italo-alpine. Cependant, on a eu connaissance de la présence d’un loup en dispersion originaire d’une meute d’Allemagne. Il a été « prélevé », dans la nuit du 22 au 23 septembre 2020 dans les Vosges. Auparavant, cet individu avait été suivi au cours de sa dispersion. Les scientifiques l’ayant Identifié par analyse génétique l’avaient noté depuis le territoire de sa meute de naissance dans le land allemand de Basse Saxe jusqu’aux Vosges. Il avait quitté, l’Allemagne, puis traversé les Pays-Bas et la Belgique avant l’issue fatale de son périple en France.

L’Office Français de la Biodiversité qui a la charge du suivi de la population de loups dans l’Hexagone a publié le 5 avril 2022 le bilan du suivi estival pour l’année 2021. On y mentionne 145 Zones de Présence Permanente, dont 128 sont les territoires de meutes.

À la croisée des chemins, notre pays verra-t-il la jonction des trois lignées ?

Plus généralement, on ne peut pas passer sous silence le fait que ces distinctions entre sous-espèces sont des constructions intellectuelles qui ne rendent compte de la réalité qu’imparfaitement. Les études génétiques ont mis en évidence des éléments distinctifs plus fins et différemment répartis. Les différentes populations des loups d’Europe ne sont séparées que par suite de quelques siècles de persécutions particulièrement féroces dans l’Europe moyenne, jusqu’à leur éradication de France par exemple.