« C’est  énorme ! » : Nicolas Baron, le loup et la réalité

Réponse du Groupe Loup Bretagne à Nicolas Baron

Petits paysans surpris par un loup – François Grenier de Saint-Martin

Dans l’entretien qu’il a donné à Ouest-France le 5 avril 2023, l’historien Nicolas Baron, se réfère à son célèbre collègue Jean-Marc Moriceau mais on se demande s’il l’a lu…

En effet, il déclare « Beaucoup de proies du loup ne supportent pas l’hiver et meurent. Donc les loups doivent se rabattre sur d’autres animaux. Certains ne veulent pas voir cette réalité à cause d’une méconnaissance de l’histoire et d’une image du loup idéalisée, sans agressivité ». Or, l’étude de la saisonnalité des attaques réalisée par Jean-Marc Moriceau dément si totalement cette assertion qu’un chapitre entier de son livre Histoire du méchant loup, la question des attaques sur l’homme en France XVe-XXe siècle (édition revue de 2016) s’intitule « Le risque hivernal ? Le démenti des statistiques ». Une seule citation « L’hiver est justement la saison la moins dangereuse » (p. 305). Il se trouve que les proies sauvages sont un peu plus vulnérables en hiver, que la mortalité est plus forte pour certaines espèces qui fournissent ainsi des charognes et que les besoins des loups qui n’ont pas de jeunes à nourrir sont plus limités.

C’est énorme.
Nicolas Baron, ITW, Ouest-France, 5 avril 2003

Nicolas Baron a effectivement mal lu Moriceau puisqu’il déclare que ce dernier « recense 10 000 attaques de loup entre le XVe siècle et le XXIe siècle ». Il se trouve que page 535 du livre déjà cité, J.-M. Moriceau déclare qu’il utilise « un corpus de 14 306 données » (incluant donc les loups enragés) allant de 1421 à 1918. Nicolas Baron s’exclame : « C’est énorme ». Mais pour qui veut bien regarder les chiffres, quels qu’ils soient, la formule ne semble pas digne de quelqu’un qui se présente comme un scientifique. Ainsi, Jean-Marc Moriceau lui-même calcule le risque annuel rapporté à la population sur la base de son corpus cumulant les décès dus aux loups anthropophages et loups enragés : Pour 1 million d’habitants, elle est de 11,2 personnes par an sur la période 1691-1720 ; de 6,3 entre 1721 et 1780 et de 3,8 entre 1781 et 1810. On peut comparer ces chiffres à la mortalité routière de 2022 (3 541 personnes tuées, soit en un an, le quart du corpus total de J.-M. Moriceau !) qui représente un risque de 52 tués pour 1 million de Français.

Histoire Du Méchant Loup - Jean-Marc Moriceau
Le loup va s’enhardir et [ira] jusqu’à mordre l’homme.
Nicolas Baron, ITW, Ouest-France, 5 avril 2003

Pour la période qui va de 1781 à 1810, J.-M. Moriceau n’a que 660 décès dus à des loups anthropophages à côté des 2 670 dus à des loups enragés. Le risque d’être mangé par un loup affamé dans cette période pourtant troublée est donc de 0,7 personne pour 1 million ! Si on considère que chaque décès était dû à un loup différent, il reste donc, en France et en retenant la fourchette basse, 14 340 loups qui n’ont mangé personne pour s’alimenter ! Nicolas Baron estime que « 1 500 à 2 000 loups » vivent en Bretagne à cette époque, ce qui représente, sur 5 % du territoire national, 10 % des 15 000 à 20 000 loups vivant alors en France selon J.-M. Moriceau et ses suiveurs (F. de Beaufort calculait dans sa thèse sur l’écologie historique du loup qu’il y en avait de l’ordre de 5 000). On peut donc estimer que, proportionnellement, 1 998 loups bretons dédaignaient alors la chair humaine puisque seulement de l’ordre de 2 loups en mettaient à leur menu chaque année en Bretagne (et c’est de fait la moyenne sur la période 1421-1918). Pourtant, sur cette base, Nicolas Baron n’hésite pas à prédire que « le loup va s’enhardir et [ira] jusqu’à mordre l’homme ». Ainsi donc, après s’être prévalu de son statut d’expert du passé « J’ai un regard d’historien, qui n’est pas celui du naturaliste, de l’éleveur, de l’urbain », le chargé de cours à l’Université de Brest n’hésite pas à nous dire de quoi sera fait demain !

Elle était bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite en son déshabillé - Gustave Doré

Nicolas Baron n’hésite pas non plus par ailleurs à ressortir un vieux mythe en accusant « les écologistes » d’occulter voire de nier (« ils diront le contraire ») « les attaques de loup sur l’homme ». De quels « écologistes » parle l’historien ? Quel amalgame fait-il entre quelques naïfs sans la moindre légitimité et des biologistes, des ethnologues et même des historiens s’inscrivant dans une démarche écologique ? Peut-il produire une seule étude publiée par l’un de ces derniers qui nierait la réalité des attaques ? S’inventer des opposants ne relève pas le niveau d’un argumentaire et agiter l’épouvantail d’écologistes contestant des évidences révèle un parti-pris idéologique indigne d’un historien.

Le « c’est énorme ! » de Nicolas Baron devrait rester dans les annales. Il est révélateur de la fascination d’un certain nombre d’historiens pour les épisodes dramatiques qui ont laissé des traces dans les archives. Ils « occultent » ainsi le quotidien marqué par une cohabitation bien comprise entre les humains et les loups.

Cet examen attentif des déclarations de Nicolas Baron montre qu’il est préférable de se passer des avis d’un tel « expert des animaux et de l’histoire de leur vécu à travers les époques ».